Le made in France s’invite dans la tech : simple tendance ou vraie révolution ?
Si l’on vous demandait de citer une marque tech française, que répondriez-vous ? Devialet ? Withings ? Peut-être même Ledger pour les plus férus de cryptomonnaies. Longtemps dominé par les géants américains ou asiatiques, le secteur de la technologie voit émerger une nouvelle vague d’acteurs tricolores, armés d’innovation, de responsabilité et surtout… de production locale. Le made in France ne se limite plus à la mode ou à la gastronomie. Il investit désormais les secteurs les plus high-tech, et ce, avec un discours clair : réindustrialiser sans renoncer à l’excellence.
Un virage vers la souveraineté technologique
La crise sanitaire de 2020 a joué un rôle d’accélérateur sur la perception des chaînes d’approvisionnement mondiales. Du jour au lendemain, la dépendance à l’égard des composants venus de l’autre bout du monde est devenue un sujet central. Résultat ? Une volonté politique et économique forte de retrouver une certaine souveraineté, notamment dans un secteur aussi stratégique que la tech.
En France, cette dynamique s’est traduite par un regain d’intérêt pour la production locale en électronique, cybersécurité, objets connectés ou encore logiciels. Et ce qui était presque impensable il y a dix ans — fabriquer une carte mère en Bretagne ou une enceinte connectée en Île-de-France — redevient possible. Voire même rentable.
Devialet, l’ambassadrice acoustique tricolore
Difficile de parler de tech made in France sans évoquer Devialet. Cette entreprise à la croisée du luxe et de l’ingénierie acoustique conçoit et fabrique ses enceintes haut de gamme en région parisienne. La Phantom, fleuron de la marque, est aujourd’hui exportée à travers le monde, tout en portant haut les couleurs de l’innovation française.
Devialet ne mise pas seulement sur la fabrication locale pour attirer. Elle parle aussi de design, de technologies propriétaires (comme l’ADH, une hybridation analogique-digitale brevetée) et d’une chaîne de production maîtrisée. Une stratégie qui séduit autant les audiophiles que les amateurs de belles histoires industrielles.
Ledger : du hardware crypto made in Vierzon
Dans un tout autre registre, le cas de Ledger est également révélateur. Spécialisée dans les portefeuilles de cryptomonnaies sécurisés, la start-up conçoit ses produits dans ses bureaux parisiens et les assemble à Vierzon, dans un site de production flambant neuf.
Cette localisation n’est pas anodine. Car en plus de maîtriser sa technologie et ses brevets, Ledger entend garantir une sécurité maximale à ses utilisateurs, ce que la fabrication locale permet mieux que l’externalisation dans des pays à moindre coût. Dans l’univers ultra-sensible de la blockchain, c’est un argument de poids.
Pourquoi les consommateurs tech se tournent aussi vers le local
Le made in France plaît de plus en plus — et pas seulement aux amateurs de marques patriotes. Dans la tech, plusieurs motivations se conjuguent :
- Une quête de qualité. Les consommateurs veulent des produits durables, réparables, moins sujets à l’obsolescence programmée.
- Un besoin de transparence. Savoir où, comment et par qui a été fabriqué un produit high-tech rassure.
- Un engagement environnemental. Produire localement permet de limiter l’empreinte carbone liée au transport et favorise une logistique plus vertueuse.
- La préférence nationale. Si ce levier n’est pas nouveau, il s’actualise dans le numérique et s’allie au désir de réindustrialisation.
On note également l’émergence d’un profil de consommateur plus averti, qui connaît les enjeux de la sécurité numérique, de la protection des données et des effets collatéraux des chaînes mondiales de production. Bref, un public idéal pour les marques tricolores qui veulent jouer la carte de l’éthique… sans sacrifier la performance.
Start-up et PME : la dynamique du « petit mais costaud »
Si les majors françaises traditionnellement associées à la tech — Thales, Dassault Systèmes, Orange — continuent d’occuper le terrain, ce sont surtout les jeunes pousses qui viennent bousculer les lignes. Leur atout ? Une agilité qui leur permet d’innover vite, sans forcément avoir besoin d’investissements astronomiques.
On peut par exemple citer :
- Murena (anciennement /e/ Foundation), qui développe un système d’exploitation mobile européen, dégooglisé, et des smartphones reconditionnés assemblés en France.
- Amiral Technologies, spécialiste de la maintenance prédictive industrielle, qui conçoit ses algorithmes et capteurs en France.
- Lify Air, une startup d’Orléans qui propose des capteurs connectés de qualité de l’air, tous développés et fabriqués localement.
Et oui, parfois, ce sont ces structures modestes qui osent faire différemment… et ça marche.
Des obstacles encore bien présents
Ne tombons pas non plus dans l’angélisme. Produire des technologies en France reste semé d’embûches : coût du travail, pénurie de composants, faible disponibilité de certaines compétences, règlementations lourdes… La fabrication d’équipements électroniques reste plus onéreuse que dans les pays asiatiques, où les écosystèmes industriels sont déjà ultra-rodés.
Pour surmonter ces défis, certaines marques misent sur le design collaboratif, l’open source, ou encore des modèles type « as-a-service » pour ne pas trop faire gonfler les coûts. D’autres cherchent à s’associer à des industriels expérimentés ou à mutualiser les investissements pour créer des chaînes de production communales ou régionales.
La clef ? Innover sur tous les fronts, pas uniquement technologiques. Car oui, faire du made in France dans la tech, c’est aussi revoir les modèles économiques classiques et parfois… casser les codes.
L’électronique redevient une industrie d’avenir
À travers la montée du made in France tech, c’est un message clair qui commence à se dessiner : il est possible de produire autrement. Et paradoxalement, ce sont les objets les plus futuristes et les solutions les plus immatérielles — IA, cybersécurité, objets connectés — qui poussent le retour à du concret : une usine locale, un partenaire régional, une production relocalisée.
La French Tech change aussi de visage : on ne parle plus seulement de licornes qui explosent les levées de fonds, mais aussi d’acteurs industriels engagés, capables de maîtriser toute leur chaîne de valeur sur le sol national.
D’ailleurs, des initiatives comme le plan France 2030 mis en place par l’État pour stimuler les technologies émergentes made in France vont poursuivre cette transformation. Ce plan prévoit plusieurs milliards d’euros pour soutenir la fabrication de composants électroniques, la cybersécurité et l’électronique embarquée. Pas de doute : la tech tricolore a de beaux jours devant elle.
Un écosystème à suivre de près
Alors, faut-il désormais scruter l’étiquette « made in France » sur nos objets connectés comme on le ferait sur un pull en laine mérinos ou un pot de rillettes au marché ? Peut-être bien. Car derrière cette mention, il ne s’agit pas seulement d’identités nationales. Ce sont les contours d’une nouvelle économie responsable et souveraine qui se dessinent.
Et si demain, votre smartphone, votre montre connectée ou votre enceinte nomade naissait dans une usine à Clermont-Ferrand ou à Angers ? Si cela vous semble encore utopique, sachez que plusieurs acteurs comme Crosscall, Archos, ou encore la société française Wiko ont déjà posé les premières pierres d’un retour de la production électronique dans l’Hexagone.
Souvent perçue comme rigide ou dépassée, l’industrie française démontre aujourd’hui sa capacité d’adaptation dans les domaines les plus pointus. Et dans cette mutation, la tech made in France ne sera pas un cas à part… mais bien un cas d’école.