Si, il y a quelques années encore, les influenceurs étaient surtout vus comme des prescripteurs de tendances relayant les campagnes des marques, une nouvelle ère s’est amorcée. Aujourd’hui, une génération d’influenceurs ne se contente plus de promouvoir, elle crée. Créateurs de contenu hier, entrepreneurs aujourd’hui, ils bâtissent leurs propres marques, parfois avec autant de succès — voire plus — que les labels qu’ils avaient pour mission de vendre.
Mais comment en est-on arrivé là ? Est-ce une simple mode ou une mutation durable du paysage économique et marketing ? Et surtout, quelles leçons peuvent en tirer les marques traditionnelles ? Décryptage d’un phénomène qui redéfinit les frontières entre marketing, création et business.
Du feed Instagram à l’e-shop : la montée des influenceurs-entrepreneurs
Les influenceurs ont toujours été au cœur des stratégies des marques. Leur pouvoir de prescription n’est plus à prouver : un post bien placé peut booster la visibilité d’un produit mieux que certaines campagnes publicitaires traditionnelles. Mais à force de promouvoir les autres, beaucoup ont fini par se demander : « Et si je lançais la mienne ? »
C’est ce qu’a fait Chiara Ferragni, l’une des premières à donner le ton. Avec sa marque éponyme lancée en 2013, elle a démontré que le personal branding pouvait se transformer en véritable empire commercial. Aujourd’hui, « Chiara Ferragni Collection » vaut plusieurs dizaines de millions d’euros et s’affiche dans les plus beaux corners de mode. Plus près de chez nous, Léna Situations, avec sa marque de lifestyle « Hôtel Mahfouf », a suscité un engouement sans précédent pour ses pop-up stores et ses vêtements au design affirmé.
Ce changement de cap n’est pas uniquement symbolique. En se mettant à la tête de leur propre business, les influenceurs prennent le contrôle de la chaîne de valeur, de la création à la vente. Ils ne sont plus uniquement des relais : ils deviennent des marques à part entière, avec leur univers, leur communauté… et leur rentabilité.
Quand l’audience devient votre premier capital
Là où une marque traditionnelle doit dépenser des fortunes pour construire une audience, les influenceurs partent avec un avantage compétitif majeur : leur communauté est déjà acquise. Ils ont tissé un lien de confiance, souvent renforcé par une proximité de ton, des anecdotes personnelles partagées, et une authenticité que seules les plateformes sociales permettent.
Un bon exemple de ce capital converti en business est la YouTubeuse française Coline, qui après des années à créer des contenus éthiques et engagés, a lancé sa marque de cosmétiques « Poudre Organic ». En jouant la carte de la transparence, du respect de l’environnement et de la sincérité, elle a su fédérer une clientèle non seulement fidèle, mais aussi ambassadrice naturelle de sa marque.
Ici, le marketing repose moins sur la promesse que sur la personnalité. L’acheteur ne choisit pas juste un produit : il adhère à un univers, à une vision, à une histoire incarnée. C’est le storytelling porté à son apogée — et en l’occurrence, à visage découvert.
Du personal branding à la création de marque : un chemin semé de défis
Créer sa propre marque n’est pas qu’un effet de mode ou un jeu de notoriété. C’est aussi un passage en terrain inconnu. Car entre les likes et les listings fournisseurs, il y a tout un univers à apprivoiser : stratégie produit, marges, fiscalité, logistique, relation client… Et c’est souvent ici que la magie des réseaux sociaux doit laisser la place à une approche business solide.
Certaines tentatives ont été plus complexes. On pense à la marque clothing de plusieurs influenceurs lancée sans structure claire et sans différenciation, qui s’est soldée par des invendus et un bad buzz. La leçon est claire : le succès sur Instagram ne garantit pas celui d’une entreprise si les fondamentaux ne sont pas au rendez-vous.
Heureusement, bon nombre d’influenceurs savent s’entourer. Ils collaborent avec des designers, des logisticiens, des spécialistes du digital et du retail. Bref, ils professionnalisent leurs projets et créent de véritables team de marque. À terme, ils deviennent leur propre start-up, dopée à la créativité et à la connexité de leur audience.
Des marques comme les autres… ou presque
Une fois lancée, la marque issue d’un influenceur entre en concurrence directe avec les autres du marché. Et là, il faut livrer plus que de la promesse. Le produit doit suivre. Le style, la qualité, la durabilité, l’expérience client deviennent des impératifs. Autrement dit : le storytelling seul ne suffit plus quand il faut fidéliser au-delà du premier buzz.
Mais certains réussissent à transformer l’essai. Take « NikkieTutorials » par exemple, célèbre make-up artist néerlandaise qui a lancé Nimya, une gamme de produits conçue autour de ses routines beauté préférées. Carton plein, notamment grâce à des lancements produits très bien orchestrés et une présence constante sur les plateformes YouTube et TikTok.
La leçon ici ? Le branding personnel est un tremplin, pas une fin en soi. Il permet d’exister dans le flot concurrentiel, mais le produit doit pouvoir vivre par lui-même. À terme, les marques initiées par des influenceurs doivent se détacher de leur créateur pour survivre. Une transition parfois délicate, mais nécessaire pour s’inscrire dans la durée.
Et les marques traditionnelles dans tout ça ?
Face à cette montée en puissance des influenceurs-entrepreneurs, les marques historiques doivent évoluer. Collaborer ne suffit plus. Il faut penser co-création, voire co-développement avec des talents du digital. Certaines l’ont bien compris. Sephora, par exemple, multiplie les exclusivités avec des créateurs issus d’Instagram ou TikTok, et les grandes maisons de couture intègrent les influenceurs dans leur comité créatif.
On commence à voir apparaître des modèles hybrides : des marques co-fondées par des influenceurs et des industriels, où chacun apporte son expertise. L’un sa communauté, l’autre son savoir-faire. Résultat : une marque plus agile, plus connectée, plus en phase avec les attentes de la Gen Z et des Millennials.
C’est également une question d’adaptation. Les codes de consommation ont changé. L’authenticité perçue, la transparence, la réactivité sur les réseaux sociaux, la capacité de rebond vidéo en cas de crise — tout cela devient aussi important que les caractéristiques du produit. Les influenceurs, qui vivent à la minute près dans un monde d’ultra-réactivité, ont une longueur d’avance. À bon entendeur…
Vers un nouveau visage de la marque
En somme, les influenceurs devenus marques incarnent une mutation plus large du monde de l’entreprise : celle d’une marque plus incarnée, plus connectée, plus humaine. Et si on assistait simplement à une redéfinition de ce qu’est une marque au XXIe siècle ?
Car après tout, qu’est-ce qu’une marque, sinon une histoire qu’on raconte, des valeurs qu’on partage et une communauté qu’on rassemble ? À l’heure des stories, du live streaming et des formats courts viraux, ceux qui savent raconter ces histoires en direct ont un avantage indéniable.
Le futur du branding passera peut-être par ces nouveaux acteurs hybrides. À la croisée du marketing, de l’influence, du contenu et du commerce. Une chose est sûre : les codes ont changé, et cette nouvelle génération d’entrepreneurs en baskets et en ring lights est bien décidée à bousculer les règles du jeu.